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Journal d'un voyageur du monde
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6 novembre 2002

Rencontres et confidences ou le grand paradoxe...

Le trajet de nuit entre Jaisalmer et Jodhpur fut relativement confortable. Arrivé à 6H45 à Jodhpur, une correspondance bienvenue avec un bus en partance pour Ajmer, m'amena rapidement dans cette grande ville, distante de 10 kilomètres de ma prochaine étape : Pushkar. Dès ma descente de bus à Ajmer, un adolescent m'aborda comme cela se passait souvent en Inde. Il avait l'air sympathique et grimpa avec moi dans le bus en partance pour Pushkar. Mais rapidement, il me proposa une guesthouse et je compris que j'étais tombé sur un rabatteur plus malin que les autres. Toutefois, il réussit à me convaincre de le suivre en me montrant les photos de la pension ainsi que le livre d'or, rempli d'éloges. Il était bien organisé et comme il avait une bonne bouille, je décidai de suivre Monti qui n'était autre que le fils cadet d'une famille qui gérait cette guesthouse de façon détendue et conviviale. L'hôtel bénéficiait d'une cour où arbres et chèvrefeuille formaient une tonnelle ombragée bien agréable sous laquelle on pouvait manger. De plus, il se situait à l'écart dans un endroit paisible et ma première impression fut bonne. Pour 100RS (15F), je bénéficiai d'une chambre double avec salle de bains et petite terrasse privative dans un état de propreté satisfaisant. Je déjeunai dans la cour et je tombai tout de suite sur un français, Christophe et un suisse de 55 ans (B.) qui me confirmèrent que l'endroit était cool, familial et détendu. Aussi, je n'en voulus pas trop à mon jeune rabatteur de 24 ans qui dans l'affaire, s'était vu attribuer une commission royale de 15RS (3F) par sa mère, pour m'avoir ramené à la maison.
Christophe venait en Inde pour la 7ème fois. Il y restait 6 mois. Il travaillait auparavant dans l'hôtellerie en France 3 mois par an, puis voyageait le reste du temps. Toutefois, depuis l'année dernière, il achetait de l'artisanat en Inde pour le revendre l'été, en France, business assez classique somme toute en Inde. B. lui, était un vieux de la vieille. Il était venu en Inde pour la première fois en 1973 en pleine période hippie par la voie terrestre classique comportant un stop de 3 mois en Afghanistan, of course. Il arriva à Pushkar qui à cette époque ne comptait qu'une seule guesthouse. D'emblée, il me raconta sa vie et je compris vite qu'il devait être encore choqué voire déprimé quand il fondit en larmes devant moi au moment d'évoquer son père. En fait, ses parents l'avaient renié suite au choix de vie qu'il avait adopté à l'époque. Puis, son père tomba malade d'un cancer et B. rentra à temps pour l'accompagner pendant sa fin de vie en lui apportant ses connaissances de médecine orientale ainsi qu'en lui offrant du haschich. Son père accepta l'offre et d'après B. cela lui réussit assez bien car il vécut encore 2 ans en fumant et en pratiquant la méditation avec son fils. Il mourut paisiblement et heureux d'avoir retrouvé son fils. Sa mère, quant à elle, mourut quelques temps plus tard, dans des conditions similaires. Ce fut touchant de recueillir toutes les confidences de cet homme de 55 ans que je ne connaissais pas il y avait 1/4 d'heure. Il me confia aussi que pour la première fois depuis toutes ces années, il se demandait pourquoi il était là, en Inde. L'Inde, disait-il, avait beaucoup changé et il pensait maintenant avoir à faire trop de choses en Suisse et en Europe. Il était arrivé il y a une semaine avec un billet et un visa valable 6 mois mais aujourd'hui il allait changer sa réservation pour rentrer en Suisse dès la semaine prochaine et retrouver la famille qui lui restait et sa nouvelle femme. Je rencontrai ainsi un vieil hippie en pleine déprime et en pleine remise en question. Il connaissait énormément de gens et des familles entières à Pushkar où il avait vu grandir les enfants et avait même participé financièrement à la construction de la guesthouse où nous nous trouvions. Il connaissait donc très bien cette famille mais ne se voyait plus faire pendant 6 mois, le tour de toutes les familles de Pushkar à partager thé et repas. Il en avait donc plus qu'assez et il ne resterait même pas pour la grande foire annuelle aux chameaux de Pushkar. Il me raconta qu'il avait cinq points de chute à travers le monde (des maisons entièrement meublées avec affaires et vêtements) : une à Mc Leod Ganj, une à Pushkar, une autre à Vagator (Goa), une encore sur une île en Thaïlande et une enfin, à Penang (Malaisie), rien que ca ! Lui aussi était un drôle de bonhomme !
Après être donc resté un long moment sous cette tonnelle à humer le parfum délicieux et entêtant du chèvrefeuille, je partis dans les rues de Pushkar à la recherche d'un restaurant. Je ne pus me faire une idée précise de ce village car il faisait déjà nuit. Il m'apparut que l'endroit était assez commercial même si, chose étrange, les commerçants me laissèrent tranquille. Je trouvai un restaurant où je m'asseyai à la table d'un italien vivant en Suisse et parlant français. Il avait 42 ans et lui, était venu en Inde pour la première fois en 1978. Depuis cette année là, il y était revenu tous les ans. Mais c'était un personnage encore bien différent des autres vieux routards rencontrés jusqu'alors. Il était dur avec les indiens et les qualifiait de gens sales, mal élevés, mal éduqués et qui, d'après lui, ne pensaient qu'à l'argent. Il n'avait pas de mots assez durs pour en fait, critiquer très durement ce pays. Il affirma même y passer de moins en moins de temps (il y restait tout de même 4 mois en 2002 !) précisant que ce serait la dernière fois qu'il viendrait ici.
Cinq minutes plus tard, il rectifia le tir en affirmant qu'il valait mieux peut-être revenir que tous les deux ans. Comme il le reconnut lui-même, s'il était si dur avec ce pays, c'était parce qu'il était profondément attaché à ce pays qu'il avait parcouru en tout sens. Il aimait  particulièrement le Kerala, le Tamil Nadu (la montagne et la mer), Goa et les montagnes de l'Himachal Pradesh. Mais l'Inde et les indiens changeaient et rattrapés par la mondialisation, ils ne pensaient plus qu'au fric et à la consommation et cela l'énervait beaucoup. Il me confia qu'il était un ancien héroïnomane, cocainomane et opiomane mais qu'il s'en était sorti grâce à sa femme (qui venait de passer d'ailleurs 4 semaines en Inde avec lui avant de repartir travailler). Il détestait tout le folklore indien autour de la philosophie et la religion hindouiste, et détestait également le yoga, la méditation, les gurus, saddhus et autres brahmanes. Lui se qualifiait de cartésien épicurien et tout ce folklore l'irritait. Il avait connu la prison en Amérique du sud pour des histoires de drogue et il avait parcouru l'Inde plusieurs fois sans un sou en poche. Mais comme il le souligna, l'un des attraits de l'Inde était que la vie y était facile et que, même sans une roupie, tu ne pouvais pas y mourir de faim. En tout cas, ce temps pour lui était révolu et il venait en Inde dorénavant qu'avec un minimum de fric car il ne voulait plus dormir (comme il l'avait fait) sur les trottoirs de Bombay en compagnie des rats. C'était lui aussi quelqu'un d'assez étonnant et je regrettais déjà son départ prévu pour Udaipur le lendemain. Car contrairement aux autres routards de sa génération, il s'ennuyait au bout de quelques jours au même endroit (comme moi) et il aimait bouger (comme moi). Sur bien des points, j'étais parfaitement en phase avec lui (y compris sur le jugement des israéliens) et principalement sur le grand paradoxe de ce pays, à savoir ce sentiment d'attraction/répulsion que suscitait l'Inde. C'était l'opposé de David l'australien mais ils se retrouvaient sur un point : ils aimaient l'Inde, ce pays que tous les voyageurs qualifiaient d'hors normes, à nul autre pareil et où ils revenaient tous les ans depuis des années...

pushkar10

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